Artorama 2019
Showroom with solo-shows by Basile Ghosn, Antoine Grulier, Célia Hay, Mountaincutters
Marseille - FR


Basile Ghosn
Né en 1991, vit et travaille à Marseille.

En Juillet 1783, le Marquis de Sade écrivait à sa femme : “Vous m’avez fait former des fantômes qu’il faudra que je réalise.“ Cette citation - ou situation devrions nous dire - est le point de départ d’un roman d’Hervé Guibert et d’une œuvre récente de Basile Ghosn. (1) En effet, le jeune diplômé de la Villa Arson fait référence à l’écrivain, tout comme aux artistes américains tels que Tom Burr et sa radicalité conceptuelle, Dan Graham et ses pavillons et modèles architecturaux ou encore New Order dont l’ivresse minimale est également une source d’inspiration. Basile Ghosn est un sentimental, de ceux que le mot n’effraie pas et dont les lectures et bandes sons new wave ou pop s’incarnent immédiatement en layers d’images dissolues systématiquement puis révélées par l’encre (toxique) de toners récupérés dans des copy-shop bon marché. Après avoir étudié l’architecture et notamment celle des bâtiments d’Oscar Niemeyer dessinés pour la foire internationale au Liban dont il est originaire, le jeune artiste décide de poursuivre sa formation en faisant vibrer la grille moderniste par l’ajout d’éléments autobiographiques et architecturaux provenant de magazine spécialisés des années 1970 et 1980. En ce sens, il poursuit véritablement l’analyse d’Hervé Guibert et travaille lui aussi à partir d’images fantômes auxquelles il confère un modernisme anonyme. Dans ce roman, l’auteur raconte ses antécédants photographiques, loin d’un texte théorique, il s’agit davantage d’une suite de notes explorant les différents status de l’image tels que le récit de voyage, le Polaroid, la photographie à caractère pornographique ou encore divinatoire. (2) Parmi eux, le Polaroid semble le plus proche des recherches de Basile Ghosn et célèbre lui aussi l’instantanéité comme processus d’apparition de l’image. Et ce n’est pas un hasard si cette firme américaine fut d’abord spécialisée dans la fabrication de lunettes de soleil à verres polarisants agissant comme des filtres du réel. Grâce à une révélation instantanée de l’image, un cadre blanc inédit, une photogénie indéniable de l’objet - et surtout de par son caractère unique allant à l’encontre même de la photographie en tant qu’élément reproductible - le Polaroid est immédiatement devenu culte. À l’instar des monotypes en verre du jeune artiste auxquels quelques notes viennent polariser les titres : grenadine, orange, menthe à l’eau, loveless, daydream...

furiosa, Juillet 2019

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1. Vous m’avez fait former des fantômes, Hervé Guibert, Editions Gallimard, 1987.
Former des fantômes, (To Shape Ghosts), Basile Ghosn, 2018, encre et scotch sur photocopie, 20 x 33 cm, unique.
2. L’image Fantôme, Hervé Guibert, Editions de Minuit, 1981.



Antoine Grulier
Né en 1990, vit et travaille à Hyères les Palmiers et Paris.

La rencontre avec Antoine Grulier a eut lieu dans un spa installé dans un magasin de décoration située dans une zone industrielle de Hyères Les Palmiers. Et donc, loin de ses sept mille specimens d’arbres à palmes tout comme de sa Villa Noailles - véritable attraction architecturale rationaliste de la ville qui a largement contribuée à la formation de l’artiste par l’intermédiaire de sa programmation interdisciplinaire de qualité. Diplômé de l’école supérieure d’Art et de Design de Marseille-Méditerranée, son travail est autant influencé par la proximité avec l’azur, le groupe Supports/Surfaces (1) tout comme l’esthétique californienne des années 1990 parmi laquelle nous retrouvons les Beautiful Losers d’Harmony Korine, Destroy All Monsters de Mike Kelley, ou encore l’emblématique Laura Palmer tout droit sortie de Twin Peaks. (2) Investi dans une appréhension tant individuelle que collective du travail, ses projets détournent sans cesse et non sans humour, les codes de la production (il est particulièrement prolifique), de la promotion et même de la consommation du design, de la mode et de l’art contemporain. Dans le cadre de sa participation au showroom 2019, il propose une installation rejouant en un sens le rituel même de l’exposition. Et ceci à travers une reconsidération du stand en lieu d’un shooting potentiel. Il prolonge ainsi certains displays réalisés dans le cadre de lancements de magazine et notamment Temple pour lequel il collabore régulièrement. (3) Ainsi, dès l’entrée dans cet espace, le public devient témoin ou complice d’une possible séance de prise de vue photographique, invité à découvrir des sculptures entre cinique et céramique, des living pictures réhaussés de lys, des tee-shirts suspendus aux murs, et des socles dessinés selon les plans de Donald Judd. Exit l’ascétisme minimal des assises en bois et modules en aluminium anodisé de l’américain, le jeune artiste opère sa version punk. Au cours de laquelle les props jadis épurés se parent de couleurs tie and dye bleutées, orangées ou sunrise, et quittent leurs fonctions d’origine pour devenir des socles et displays à part entière, le tout sur fond de lilium entêtant sous la chaleur de Marseille en été. 

furiosa, Juillet 2019

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1. Les artistes de Supports/Surfaces analysent les éléments constitutifs de la peinture par un travail de déconstruction et de démontage du tableau traditionnel. Ils explorent les ressources des textiles par la coupe, le retournement envers/endroit, le pliage, les teintures et les empreintes, les agrafages, le tressage (...) afin de rétablir une unité entre la pratique picturale et le support de la peinture. La mise à nu du châssis et l'utilisation de la toile libre leur permettent de ne plus concevoir le tableau comme un écran projectif, mais comme une surface d'occupation de l'espace (Cane, Dezeuze, Grand, Pagès, Saytour, Viallat).“ Communiqué de presse, Les années Supports I Surfaces dans les collections du Centre Georges Pompidou, 19 mai - 30 août 1998, Centre Pompidou, Paris.
2. Notez que Laura Palmer est même devenue phénomène commercial à part entière, un cocktail porte ainsi son nom au menu de Sqirl, 720 Virgil Avenue, Los Angeles, Californie.
3. Temple est un magazine indépendant d’art, de mode et d’expérimentation graphique initié par Anaïs Allias et Margaux Salarino, en 2017.



Célia Hay
Née en 1991, vit et travaille à Londres et Marseille.

Célia Hay a une connaissance précise de l’image qu’elle soit photographique ou cinématographique. Ainsi, elle maitrise parfaitement sa capture tout comme sa restitution et développe son caractère spectral. Diplômée de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design de Marseille Méditerranée et de Central Saint Martins à Londres, la jeune artiste appréhende le tournage comme un temps expérimental voire transcendental, pendant lequel elle s’engage physiquement au même titre que ses personnages, acteurs et amis. Ensemble, ils éprouvent véritablement l’image, son enjeu tout comme son enregistrement. Par là même, ses séances font états de rituels mais aussi de déambulations vers les origines de la Tamise, d’errances et de rencontres avec les fantômes d’Osaka ou encore de processions collectives. Il est également souvent question du langage de la disparition, le tout sur fond de huis-clos voire de territoire insulaire. De fait, ses tournages semblent répondrent aux même critères que certaines cérémonies secrètes à la différence près qu’elles opèrent par simple empirisme, et l’élément vaudouisé serait ici la caméra ou plutôt le corps-caméra lui-même. On pense ici au film classique du genre de Jacques Tourneur sobrement appelé Vaudou dans sa version française et “I Walked with a Zombie“ par Hollywood. Le cinéma de Célia Hay est proche de l’essai (de genre), son langage n’est ni fictionnel, ni réel. En ce sens, il agit comme un cinéma auto- réflexif dont le tournage est finalement déjà le sujet. En témoigne, The Procession of Disappearance pendant lequel nous découvrons l’île comme champ sémantique à part entière, comme sujet d’une procession transférant (au sens psychanalytique du terme) la disparition dans la continuité de l’île de Gozo située dans l’archipel de Malte en Méditerranée. (1) Se dessinent alors de nouvelles mythologies tant individuelles que collectives, davantage poétiques que dogmatiques dont les formats (8mm numérisé ou haute définition) entretiennent un rapport fétichisé à l’image en mouvement, celle d’hier tout comme celle d’aujourd’hui.

furiosa, Juillet 2019

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1. Réalisé en collaboration avec Pearlie Frisch, Maria de la O Garrido, Lena Heubusch, Candice Japiassu et Stephanie Sant lors d’une résidence à Spazju Kreattiv.



Mountaincutters
Initiée en 2013, vit et travaille à Bruxelles

Lors de la lecture de Marcher avec les dragons, Tim Ingold nous rappelle que l’anthropologie dite classique considère la perception de l’environnement comme une construction culturelle de la nature. Avant de commencer son analyse l’anthropologue revient à la fois sur cette définition historique mais aussi sur les notions d’environnement. Tout d’abord [il] est un terme relatif - c’est à dire relatif à l’être pour lequel il est un environnement. De la même manière qu’il ne peut y avoir d’organisme sans environnement, il ne peut y avoir d’environnement sans organisme. (1) Il revient par la suite sur une notion contractant les deux théories initulée organisme-environnement qu’il considère comme totalité indivisible, en précisant que cette dernière n’est pas une entité limitée mais un processus en temps réel, en croissance et en développement permanent. Il semble que ce concept résonne particulièrement avec le travail de Mountaincutters dont l’appellation tant plurielle qu’anonyme provient de la contraction de mountain et de cutters symbolisant la rencontre entre la géologie, le paysage et l’action, le geste de la main. Mountaincutters est une entitié hybride diplômée de l’Ecole d’Art et de Design de Marseille Méditerranée et basée à Bruxelles. Depuis 2013, elle agit comme organisme-environnement artistique à part entière, et développe des projets principalement in-situ, et ceci par divers processus de contamination. Et notamment sous forme de modules éphémères, actifs le temps de l’exposition dont les composants proviennent de matière première non transformée telles que le fer, l’acier, l’argile, le cuivre, le plomb, le papier ou encore le verre. Certains seront ensuite retravaillés pour réapparaître lors de l’élaboration d’installation future. En encapsulant ces matériologies passées, voire rescapées pour certaines, Mountaincutters détourne toute forme de capitalisation et de fétichisation de l’objet et s’inscrit dans un présent perpétuel. L’archive existe peu, elle se manifeste néanmoins sous forme de photographies argentiques numérisées ou de sculptures composées des résidus résistants aux démontages des installations aussi appelées objets incomplets. (2) Ainsi, ces dispositifs semblent s’imprimer et se révéler tout en s’effacant. Un processus similaire à celui initié par Richard Serra lors de l’élaboration de Hand Catching Lead, dès 1971. (3) Dans ce film, les feuilles de plomb que l’artiste américain tente d’attraper s’impriment progressivement sur sa main jusqu’à la recouvrir entièrement, alors que la pellicule disparaît au fur et à mesure que vous aimez le regarder.

furiosa, Juillet 2019

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1. Tim Ingold, Marcher avec les dragons, Traduit de l’anglais par Pierre Madelin, page 28, Editions Zones Sensibles.
2. Les objets incomplets sont des sculptures résistantes aux démontages des installations précisant leurs origines à travers leurs titres i.e., Objet Incomplet II, (SPOLIA).
3. Richard Serra, Hand Catching Lead, 1971, Film 16 mm noir et blanc, silencieux, Collection Centre Pompidou, Paris. Le film a été choisi par Mountaincutters pour être présenté sur un de leurs modules en acier lors de SPOLIA, un projet de Guillaume Désanges et Mountaincutters, avec notamment Etel Adnan, Moondog, Pier Paolo Pasolini, Christophe Tarkos et Richard Serra, Centre d’Art Contemporain Le Grand Café, Saint Nazaire, 2018.